À travers Ferrières
C’est à travers une carte IGN, son iconographie particulière, ses nuances de verts, ses lignes de reliefs et ses légendes que nous nous sommes confrontés une première fois à la forêt de Ferrières ; d’abord, au prisme de sa localisation par rapport à Paris, et les réseaux de transports qu’il faudrait emprunter pour la joindre. Puis, notre regard s’est porté sur cette grande tâche verte de la taille de la capitale, bordée de quelques villes et bourgs, enserrant au nord une autoroute, et comme se diluant sur le papier poreux de la carte autour d’une avancée grisâtre : Pontcarré.

C’est par là que nous avons commencé, par une matinée froide de novembre. Très vite, notre imaginaire de citadins quant à une forêt de la taille que nous indiquait la carte IGN s’est trouvé confronté à sa morphologie réelle. Allées et contre-allées longilignes, giratoires piétons et signalétique empruntant ses codes à l’urbain, la forêt perçue sur le papier se donnait à voir comme un parc à la française. Quadrillée, propre et froide, a priori autoritaire dans ses usages induits, cette forêt ne semblait l’être que par le relatif calme qui y régnait, l’élan de ses cimes et l’état de nos chaussures.

Non coïncidence entre la carte et le territoire, ainsi peut se résumer notre premier contact avec la forêt de Ferrières.

Nous avons alors décidé de travailler sur les différents usages de cette forêt, et notamment les trajectoires la traversant avec comme fil rouge une attention renouvelée à ce que cette forêt, son paysage et sa signalétique ne programment pas. En dehors des sentiers battus, des itinéraires principaux et des usages admis, consentis, suggérés, il nous importait de mettre à jour les lignes de désir, usages qui échappent aux injonctions et contournent l’existant. Comprendre comment une autre expérience de la forêt était possible, tel était notre programme. Pour ce faire, nous avons choisi de nous concentrer sur un périmètre restreint, un “quartier”, de cette vaste forêt afin d’isoler, la stratification des parcours et des usages qu’il induit.

Notre méthodologie a alors consisté à documenter les usages de la forêt à travers des protocoles et expérimentations complémentaires, qui viendraient se superposer tels des calques sur une carte, autant de filtres et de strates sensibles dont la sédimentation conférerait à une carte une épaisseur sensible, une densité matérielle.

Notre approche s’est nourrie de nos dialogues avec les représentants de l’AEV autour de la notion de surprise. Afin d’analyser sans présupposés les usages de cette forêt, il importait pour nous de créer les conditions nécessaires à l’apparition de la surprise, à adopter une démarche de réceptivité non parasitée par des dispositifs d’études trop rigides. Cet impératif méthodologique de sérendipité s’est cristallisé dans une approche ludique de la forêt. Aussi, tous nos protocoles ont pris l’aspect de jeux, jeux de piste, jeux de cache-cache, jeux de détectives entre nous et les usagers afin de, par un écart, si léger soit-il, libérer la parole et l’ouvrir à l’étonnement.

Au nombre de ces dispositifs d’études :

1. une approche photographique des usages sur le mode de l’enquête. L’analyse des représentations photographiques de la forêt de Ferrières nous avait mené sur quelques plateformes (Tumblr, Flickr …) où était donnée à voir une forêt esthétisée, perçue au prisme du weekend nature ou de la pratique des sports extrêmes quand la grande majorité des photographies proviennent du site internet de l’AEV. Sous deux modes de représentations, l’un esthétisant et non circonstancié, l’autre officiel et communiquant. Ainsi avons-nous proposé à chaque personne croisée dans la forêt de décrire verbalement la photographie qui documenterait au plus proche son usage de la forêt, puis de photographier elle-même l’élément de son choix. Le pendant de ce dispositif est à trouver dans une démarche systématique de documentation des traces et indices attestant d’un usage, admis ou non, de la forêt : pollution, coupes, oublis, empreintes de pas etc.

2. une cartographie des parcours quotidiens : chaque personne rencontrée dans la forêt est interrogée sur ses usages du territoire, ses trajectoires habituelles en fonction des circonstances de la traversée. A chacune est proposé d’illustrer son expérience de la forêt par une carte schématique de ses déplacements, qui intègre ainsi l’échelle, les repères et les représentations singulières de l’espace en fonction de ses usagers.

3. une cartographie sonore de la forêt de Ferrières, entre voix et paysages : aux approches photographiques et cartographiques vient se greffer un dispositif de captation sonore, des entretiens réalisés où les voix des usagers rencontrés viennent habiller et incarner l’espace mais également de captations réalisées sur des séquences plus longues, au milieu de la forêt en journée, ou encore au long d’une battue en compagnie de chasseurs.
Parcours d'usagers
Intention
La chasse
Ces trois dispositifs retenus ont permis d’amasser une somme de matériaux de diverses natures, issus d’un travail sur le terrain en petits groupes sur des périodes de semaine ou de weekend, touchant différents groupes d’usagers (promeneurs, VTTistes, riverains, chasseurs etc.) et de retranscrire ainsi une expérience sensible d’une forêt dont la diversité des usages et des expériences dépasse ceux programmés.

La forêt au travers
de ses usages
Méthodologie
Suite et fin
L'herbier humain